VAINCU PAR LE CANCER
L’interview testament de Claude Barzotti : « Je n’ai aucun regret »
NICOLAS DEWAELHEYNS
Claude Barzotti n’est plus. Ceux qui le connaissaient, comme moi, l’appelaient François ou Francesco. Son vrai prénom. Le Rital qu’il est resté s’en est allé. Comme il le souhaitait. Sur la pointe des pieds.
Claude allait avoir 70 ans le 23 juillet. Le « crabe » l’a vaincu. Comme sa maman et son papa avant lui. Il ne s’en est jamais vraiment remis, de ces disparitions. Il est parti entouré des siens qui ne l’ont jamais lâché. Jusqu’au bout, il a pu rester à la maison et pas à l’hôpital. Chez les Barzotti, le mot famille a gardé tout son sens.
La dernière fois que je suis allé le voir, le 13 juin, mon ancien voisin était encore fier. Il était certes en fauteuil roulant mais pas question de garder le short devant un invité. Il lui fallait mettre le pantalon. Les traits tirés, il avait toujours ce regard vif qui s’illuminait quand on évoquait les souvenirs avec lui. Et pas que de sa carrière. De ces moments où il habitait Bousval, au faîte de sa splendeur. Je me souviendrai toujours de sa venue, un jour de mai, chez moi, quand il a présenté ses condoléances. Mon père était décédé. Inopinément. À même pas 60 ans. Il s’est assis dans le divan. À l’époque, Claude ne le cachait pas, il prenait un Valium par jour et au moins une bouteille de whisky. « Moi ? Tout va bien, la vie est belle », avait-il lâché.
« Je suis foutu ! »
J’ai eu la chance de l’interviewer. Souvent quand ça allait mal. Il revenait d’une énième cure pour soigner son addiction à l’alcool. « C’est la bonne », me disait-il. « Je ne bois plus d’alcool ! » Et demandait qu’on lui serve un verre de vin blanc. « François, c’est de l’alcool ! », grondait-on. « Mais non, pas le vin. Ce n’est rien », répondait le Stéphanois né à Châtelineau.
Je ne vous ferai pas l’injure de rappeler tous ses titres. Certains sont moins connus que d’autres mais probablement plus beaux. Je préfère vous parler de cet homme qui, la dernière fois que je l’ai vu, était heureux de ne pas avoir d’ennemi. « Bon, c’est vrai, il y a un artiste avec qui je n’ai jamais eu d’affinités mais je n’ai eu aucun ennemi ». Nous ne vous dévoilerons pas le nom de cet artiste très connu. Ces dernières semaines, il recevait de nombreux appels. D’Hervé Villard, de Jean Manson, de grands noms de la chanson française.
Des visites aussi. Du grand ami Enzo Scifo, d’Herbert Léonard, de Lou Depryck qui en a passé, des heures, avec lui. Pour lui remonter le moral quand il était au plus bas et qu’il broyait du noir. Car Claude était conscient de sa maladie. Il savait qu’il n’en avait plus pour longtemps. Trois mois, pas plus lui avait dit son excellent médecin.
« Pierre, je suis foutu. Personne ne le sait encore mais c’est la vérité. Même pas mes filles », m’avait-il dit un jour au téléphone, en pleurs. Pourquoi moi ? Il m’avait à la bonne mais je ne savais pas quoi lui répondre. Je lui rappelais qu’il avait promis de vivre encore longtemps pour profiter de ses petits-enfants. Assia, Mia, Baya. Trois perles « données » au « nonno » par Vanessa et Sarah, les filles qu’il a eues avec Marie-Paule. Lui qui, il y a bien longtemps, m’avait dit qu’il ne voulait que des garçons. Il a été servi, le chanteur de « Madame » ! « Elles sont la prunelle de mes yeux. J’en suis gaga. Je ne peux pas leur dire non. Et à mes filles non plus, d’ailleurs ».
Ce mardi 13 juin, il y avait son frère Alessandro qui est âgé d’un an de plus que lui. Il était arrivé le matin de Milan où il habite. Je lui demande pourquoi son frère, qui a été tant aimé et a connu tant de réussite en Belgique, en France, au Québec et au Liban, n’a-t-il pas essayé de s’attaquer à « leur » Italie. « Parce qu’il ne pouvait pas être au four et au moulin. Je suis sûr qu’il aurait percé. Quand on est bon, on est bon », répond l’aîné.
Comme ses parents...
Avant ce 13 juin, j’étais déjà allé voir Claude. Pour recueillir ses impressions, lui qui venait de m’apprendre qu’il n’en avait plus pour longtemps. L’alcool ? On sait qu’il n’en buvait pas avant de devenir célèbre. L’histoire de ce fameux verre bu chez Drucker pour diluer le stress qui le paralysait. « C’était en 1984. Je recevais mon premier album de platine et on m’a proposé ce verre carré. Il devait y avoir un centilitre dedans. Cinq minutes plus tard, je ne comprenais plus rien ». L’alcool ? « Je pensais que j’étais plus fort que lui et c’est devenu une maladie ».
La maladie, le cancer du pancréas ? « Ma mère est morte d’un cancer du foie et elle n’a jamais bu. Mon père est mort d’un cancer du pancréas à 74 ans et il ne buvait qu’un seul verre, le week-end. Je pense que si je n’avais pas bu, je serais quand même mort de ça », me dit-il.
Ses chansons ? « Si je n’avais pas bu, je ne crois pas que j’aurais pu écrire la chanson à ma mère ‘J’veux pas qu’tu partes’. Je n’ai jamais eu de mal à écrire les chansons. Moi, cela venait d’un coup, sans instrument car j’étais archinul en électronique. Parfois, neuf chansons de suite, avec Anne-Marie Gaspard ». Sa préférée ? « J’ai un penchant pour ‘Madame’. Je n’avais pas vendu un disque en 1975. Je l’ai ressorti en 1982 et j’en ai vendu 750.000 ! »
Par quel miracle ? « Cela faisait quatre ans que j’avais arrêté de chanter. J’étais dégoûté. J’avais écrit en 1978 une chanson sur la mort de Claude François. Elle s’appelait ‘Muriel’. Elle pleurait et elle rêvait à sa dernière danse et à ‘Comme d’habitude’, sa chanson préférée. J’ai vendu 300 disques et j’ai décidé d’arrêter ».
Alors, par quel miracle ? « J’étais devenu prof de musique à 19 ans puis directeur artistique chez Vogue, à 23 ans. Je gagnais tout juste ma vie quand j’ai reçu un appel téléphonique. Il était 20h. J’ai entendu : ‘M. Barzotti ? Vous avez un talent fou, vous êtes un génie.’ Je croyais que c’était une blague ». C’était qui ? « L’un des frères Celie, les producteurs de la Danse des canards ».
La jeunesse ? « On n’avait rien au début mais nos parents ont tout donné. Beaucoup plus que je leur ai donné. On n’avait pas un franc belge à l’époque mais je ne regrette rien. Trois fois par semaine, gamin, j’allais répéter avec un orchestre à Haine-Saint-Pierre. J’habitais à Bousval et j’allais en stop. J’ai fait tous les métiers. J’ai réparé des vélos, j’ai même démoli des maisons. Avec les briques de la gare de Bousval que j’avais achetées 32 ou 34.000 francs, j’ai construit ma première maison dans le même village ».
Fait pour rester seul
Les débuts ? « Je me souviens d’avoir gagné le ‘Micro d’Or à Loupoigne. Mon père est venu à pied des usines Henricot à Court-Saint-Étienne car il avait appris que son fils avait gagné. C’était comme si j’avais remporté l’Eurovision. Non, je n’ai aucun regret mais qu’est-ce que j’ai ramé ! »
Les femmes ? Claude les a chantées et beaucoup aimées. « Oui, j’aimais les femmes… mais j’étais fait pour rester seul ». S’il devait changer quelque chose ? « Ma tête », répond-il...
Il avait décidé de finir ses jours à la maison
Le compositeur et chanteur belgo-italien s’est éteint ce vendredi à son domicile de Court-Saint-Etienne . Il avait 69 ans. Francesco Barzotti était né le 23 juillet 1953 à Châtelineau. Ses parents avaient quitté l’Italie, alors en crise, à la recherche d’une vie meilleure. Francesco avait 6 ans.
Ses parents vont tout faire pour offrir à leur garçon l’avenir dont il rêvait : accordéon, guitare, académie de musique... « Mes parents m’ont toujours aidé. Mon père travaillait dans les mines, puis aux usines sidérurgiques Émile Henricot. Mes parents ont assisté à mon succès mais ils étaient très discrets. J’ai pu offrir une nouvelle voiture à mon père, une maison à mes parents. »
À 13 ans, en difficulté scolaire, Francesco décide de quitter l’école pour se consacrer entièrement à sa passion, la musique. « À 15 ans, je chantais dans les bals du samedi soir, je touchais 15 € pour 6 h de bal. » Dans les années 70, sous le nom de Claude Barzotti, il enregistre plusieurs 45 tours : « Je n’ai pas oublié », « Ce grand amour » ou « Madame ». Mais le succès n’est pas au rendez-vous.
À 22 ans, deux producteurs de Paris, les frères Celie, l’appellent, se disent amoureux de son style et de sa chanson « Le pauvre vieux » et lui proposent de venir à Paris. « Je n’avais pas d’argent pour y aller. Ils m’ont envoyé le billet de train par la Poste. J’ai enregistré mon premier 33 tours. Il nous restait du temps en studio. Ils m’ont parlé de ‘Madame’, on l’a mis sur le disque et c’est cette chanson qui est à l’origine de tout. Quelques années plus tard, « Le Rital » lui permettra de vendre jusqu’à 28.000 disques par jour ! « Je suis entré dans le Guinness Book ».
« L’alcool m’a bousillé »
Dès 1986, parallèlement à sa carrière de chanteur, Claude Barzotti se lance dans l’immobilier .
« Je faisais visiter les maisons. Les gens étaient surpris que Claude Barzotti leur vende une maison. »
En 2019, Claude entre une dernière fois en studio. Il enregistre 10 nouvelles chansons. Mais aucune maison de disques ne souhaite sortir ce nouvel album intitulé « Un homme ». Il le produit lui-même. 25.000 exemplaires sont pressés. Mais Claude replonge dans l’alcool et n’est pas capable d’assurer les interviews. « J’aurais pu faire une grande carrière. J’ai eu un problème avec l’alcool. Et ça m’a bousillé. J’ai bu jusqu’à six bouteilles de whisky par jour. Je n’ai jamais aimé l’alcool : le whisky c’était pour me défoncer. Je pense que j’étais mal dans ma peau. » Ce dernier album n’a finalement jamais été distribué dans le commerce. Il est toutefois disponible sur les plateformes d’écoute.
Funérailles samedi
Les funérailles de Claude Barzotti auront lieu samedi à 11h à l'église de Tangissart, avant une inhumation au cimetière de Court Saint Etienne.